12 juin 2010

La photo de Marie


On me donne il y a quelques jours, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas.
Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "la petite Espagne" (je publierai la photo).

J'ai publié cette photos, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors voilà les premiers textes (d'autres à venir)

14 juin: la suite, oui, des commentaires sont arrivés, je les ai placés plus en évidence, là, à la suite.
Merci Vinika, François, Nicole, Yannick, 
Estibal me dit que je devrais donner des contraintes, demander aux gens de choisir  un point de vue par exemple (ex: le point de vue du critique, le texte au dos, le commentaire du photographe,...)
A suivre :-)
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Oh ! que c'est beau…le fond flou… le foulard, les talons aiguilles, le visage illisible de l'homme (plissé par l'effort), l'éclat lumineux de son visage à elle, la perspective de la rue en pente, l'irrégularité de la neige, la magie de l'instant (suspendu, c'est le cas de le dire…). Belle fin d'après-midi grâce à une photo cadeau comme celle-ci…

François
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Ils sont encore  dans cet instant imprimé au coeur des neiges, village de montagne , de vacances peut-être, le bonheur qui jamais ne s'arrête... ne s'arrêtera. Elle est suspendue dans ses bras, sur son corps et ils sont en attente, dans le jeu du déclic. Il ne fait pas si froid, la rue est à peine glissante, les enfants sont encore au chaud, c'est dimanche, personne ne s'aventure dans le matin clair qui épouse les ombres et les clartés, dans cette fluidité évocatrice de la neige qui scintille dans mes yeux. Ils sont beaux et jeunes et demeurent vivants à jamais. On pourrait entendre les vaches dans l'étable et les moutons derrière l'enclos. Les cloches sonnent. Mais on n'entend rien, pourtant, que le crissement d'un fin, d'un presqu' évanescent grésil qui danse sur les peaux... Pas de fumées aux cheminées ou bien je ne vois rien, je suis trop prés ou trop loin.... j'aurai aimé être là et les suivre, les voir descendre en riant et les entendre courir en se tenant la main pour se blottir dans la forêt, à l'entour des sapins frissonnants, quelques lapereaux farouches détalant à leur approche... l'absence de fenêtres ou de rideaux m'obsède. Il n'y a rien à voir en-dehors d'eux. Et cette vie d'amour qui s'échappe telle une fumée ou un brouillard juste derrière eux, et qui les engloutit dans le silence de l'oubli, cette éternité qui nous attend tous... Il reste le crépitement rythmé de l'intermittence des neiges et des parcelles d"herbes et de terre qui se souviennent.... Et qui nous écoute.
je ne sais pas pourquoi mais depuis le jour où je croisais ce couple et m'arrêtais pour les regarder jamais je n'avais réussi à oublier leurs visages rayonnants, leurs sourires et leur tendresse communicative. Ils ne parlaient pas, la jeune femme qui prenait la photo aussi était silencieuse. Dans le village aucun bruit, comme une conspiration de silence feutré autour du bonheur, cette joie de vivre et de partager si irradiante, un plaisir pour les yeux. Au profond de toute neige qui tombe, là où la ruelle du village s'enfonce vers les sapins aux épines cristallisées d'éclats de matin froid, là où les maisons semblent endormies, toujours ils sont là , au fond de mon coeur, comme des sentinelles à l'entrée des portes de la mort : ils ouvrent le chemin vers ce qui demeure à jamais et qui se grave dans le livre de la terre, puis un jour nous interpelle...
Vinika (qui précise qu'elle l'a écrit très vite et qu'elle a laissé des fautes ... on s'en fiche :-) )
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De retour de Palerme, je passe par là et découvre cette belle image floue, si légère, qui visiblement vous a beaucoup inspirés les amis... En effet, ça "fictionne" et c'est beau, ce flou photographique et littéraire.
Yannick
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Incongruité absolue de ces deux citadins ainsi vêtus, ainsi chaussés dans ce village qu'on devine de campagne, qu'on imagine de montagne.
Incongruité de cette posture de portefaix qui fait de l'homme un porte-femme, de ce corps tendu à la façon d'un arc et qui trace une courbe improbable : les genoux prêts à céder, le pied gauche vrillé, le visage crispé tandis que ses deux bras noués l'enserrent, Elle.
Elle qui réussit à échapper au sol - à cette vie-là, rustique , et qui triomphe souriante, élégante dans le mouvement qui révèle ses jambes, ses escarpins à talons.
Incongruité de ce portée acrobatique et figé si éloigné de celui du cinéma où l'amant fait franchir le seuil à l'aimée dans un mouvement -élan.
Incongruité du sourire "email diamant blanchit vos dents" de la jeune femme et qui est plus blanc que la neige , son ennemie du moment.
Etonnant cliché d'un bonheur éclatant où l'amour est prouesse.

Nicole
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Encore :
L'image 1 (les formes): l'oblique des toits, l'arc de cercle qui part de la toiture à droite, rejoint la tête de l'homme, la cambrure de ses reins, suit sa jambe gauche, puis la surface neigeuse au sol, la branche de gauche exactement parallèle au toit qui la surplombe, et que prolongent les talons de la femme, la jambe de l'homme, la neige encore, le V inversé au premier plan, surface sombre, symétrique encore de celui qu'amorce les toitures noyées de blancheur jusqu'à l'aveuglement;
L'image 2 (l'histoire): les talons, le foulard, la veste, la ville oui. La tenue de ville plutôt, le village, l'entre deux des saisons, l'entre blanc et noir, l'entre visible et invisible, l'entre deux du temps, pas encore tout à fait de l'histoire (histoire des campagnes françaises), plus tout à fait du présent, plus tout à fait saisissable, presque mais on sent que ça [s']échappe.
L'image 3 (les corps): et maintenant les deux corps, les visages inclinés dans la même direction, les bras si proches, la légèreté et la transparence de ses mollets, et tout de suite : plus sombres, plus longues ses jambes à lui et puis, le rire, les dents blanches de la femme, les lèvres resserrées de sa bouche à lui que je vois toute petite comme pour prononcer la voyelle : UUUh (essayez !). Non, je ne vois aucune incongruité si ce n'est celle du bonheur dans le temps, quelque chose d'intensément joyeux et de mélancoliquement perdu, un travail d'équilibriste assez bouleversant.

François 

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Comme la montagne qui se laisse percevoir dans l'approche de ce village, la femme s'élance, féminine et totale, dans un geste d'ivresse, d'abandon, et cherche à atteindre le ciel. Elle rejoint le sommet, le nuage, le sens du rêve, la nudité des neiges éternelles... Dans l'azur ou dans le gris, la terre et le ciel s'effacent l'un en l'autre, la neige est tant tombée depuis tant de jours et de nuits. Elle lui a dit qu'elle attendait un enfant, elle lui a dit... l'axe du monde tourne autour d'eux, créateur et enfanteur. proche d'un autre mythe, l'étroitesse du monde cède le pas à la franchise presque brusque de ce geste maladroit de possession amoureuse, langoureuse ,en un geste resserré dont l'amplitude est lourde d'effort concentré. Il porte le monde, son monde, Atlas en voyage. Il le porte à plein bras, à plein corps et non sur le dos, il l'accepte totalement. Plénitude. Et puis en y regardant un peu plus prêt, ça glisse peut-être... Alors là c'est un acte " héroïque " on comprend les lèvres serrées et le sourire de la dame, victorieux. Les formes des maisons entrevues évoquent cette maison que l'enfant dessine, la maison des rêves, celle qui nous ressemble, la maison au toit rouge, à la cheminée fumante, à la fenêtre ouverte, au chemin ouvert devant la porte, je me demande comment est la maison de ce couple. Où vivent ils ? Où l'enfant attendu viendra au monde ? L'éclat miroitant de neiges durcies raconte une histoire... Toujours la même : ils s'aimèrent et eurent beaucoup d'enfants ! Mais, ça, c'est dans les contes pour enfants sages. Nous, nous ne sommes pas sages, nous ne lisons plus de contes. Pourtant, oui, ils s'aimèrent... sur un lit de fougères lorsque l'été darda ses chauds rayons, là-haut dans l'alpage bruissant d'insectes, dans le lit des ancêtres au coeur de la maison des grands parents, dans la montagne, cette montagne qui les immortalisent. Regarder et se plonger dans cette image n'est ce pas convoquer les morts sur la scène de la vie et les interpeller ? Leur donner vie à nouveau... Est-ce qu'on les dérange là où ils sont allés maintenant ? Dans ce lointain pays du songe ininterrompu, aux jardins de lumière et de fleurs, aux montagnes sans noms, aux fontaines limpides, là où chantent les rivières filantes, et où les étoilent inversent la perspective entrevue? 

Vinika 

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Quinze dérives fictionnelles, au dos probable de la photo, qui vont s'épaississant. — Merci à Estibal pour sa suggestion.
1. Paul et Jacqueline, au Villaret (23 Mars 57)

2. Paul avec Jacqueline au Villaret, fin mars 57

3. Jacqueline au Villaret, avec Paul (23/03/57)

4. Avec Jacqueline. Le Villaret, 23 mars [au crayon « à papier »] : 1957 ?

5. Paul et moi, le 23 mars 1957 (Merci Alice pour cette photo)

6. Mon Paul (23 mars 1957)

7. 23 mars 1957 (Merci Alice)

8. Photo prise au Villaret, par Alice, sûrement. En 57 je crois. Je ne sais pas où étaient les petits. Annette chez maman sans doute. Pierrot avec nous, peut-être qu’il jouait aux petits chevaux avec mamie Ginette.

9. Le Villaret.

10. Pâques 1957 : mon frère avec Jacqueline. Maman était contente qu’ils soient venus. Elle s’occupait du petit pendant qu’on se promenait. On se doutait pas.

11. Une des dernières photos du Villaret, Pâques 57, sans doute puisque Paul est encore là.

12. Jacqueline et moi, derrière la maison des parents. La regarder souvent pour ne pas oublier. Dire qu’on a tellement chaud ici.

13. Je n’ai que cette photo avec votre père. C’est tata Alice qui l’a prise quelques mois avant qu’il parte en Algérie. Pierrot avait deux ans. Annette était restée chez maman.

14. [Au crayon « à papier » :] Pour Annette. [Puis, à l’encre noire :] J’ai retrouvé cette photo de ton papa avec ta pauvre maman. Un an après, il est parti pour l’Algérie. J’aime bien cette photo. Ce qu’ils s’aimaient ces deux-là !

15. [Au crayon de couleur rouge — écriture appliquée :] C’est mon papi (le papa de ma maman) avec ma mamie. Je n’étais pas né. Il y avait une guerre. Même ma maman se souvient pas de lui. Heureusement, il y a tata Alice. Elle garde toutes les photos. Elle se souvient de tout. Même des gens qui sont morts. Il était très fort mon papi. C’est tata Alice qui le dit mais ça se voit. 

François

3 commentaires:

  1. Encore :
    L'image 1 (les formes): l'oblique des toits, l'arc de cercle qui part de la toiture à droite, rejoint la tête de l'homme, la cambrure de ses reins, suit sa jambe gauche, puis la surface neigeuse au sol, la branche de gauche exactement parallèle au toit qui la surplombe, et que prolongent les talons de la femme, la jambe de l'homme, la neige encore, le V inversé au premier plan, surface sombre, symétrique encore de celui qu'amorce les toitures noyées de blancheur jusqu'à l'aveuglement;
    L'image 2 (l'histoire): les talons, le foulard, la veste, la ville oui. La tenue de ville plutôt, le village, l'entre deux des saisons, l'entre blanc et noir, l'entre visible et invisible, l'entre deux du temps, pas encore tout à fait de l'histoire (histoire des campagnes françaises), plus tout à fait du présent, plus tout à fait saisissable, presque mais on sent que ça [s']échappe.
    L'image 3 (les corps): et maintenant les deux corps, les visages inclinés dans la même direction, les bras si proches, la légèreté et la transparence de ses mollets, et tout de suite : plus sombres, plus longues ses jambes à lui et puis, le rire, les dents blanches de la femme, les lèvres resserrées de sa bouche à lui que je vois toute petite comme pour prononcer la voyelle : UUUh (essayez !). Non, je ne vois aucune incongruité si ce n'est celle du bonheur dans le temps, quelque chose d'intensément joyeux et de mélancoliquement perdu, un travail d'équilibriste assez bouleversant.
    François

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  2. vinikadabra13 juin, 2010

    Comme la montagne qui se laisse percevoir dans l'approche de ce village, la femme s'élance, féminine et totale, dans un geste d'ivresse, d'abandon, et cherche à atteindre le ciel. Elle rejoint le sommet, le nuage, le sens du rêve, la nudité des neiges éternelles... Dans l'azur ou dans le gris, la terre et le ciel s'effacent l'un en l'autre, la neige est tant tombée depuis tant de jours et de nuits. Elle lui a dit qu'elle attendait un enfant, elle lui a dit... l'axe du monde tourne autour d'eux, créateur et enfanteur. proche d'un autre mythe, l'étroitesse du monde cède le pas à la franchise presque brusque de ce geste maladroit de possession amoureuse, langoureuse ,en un geste resserré dont l'amplitude est lourde d'effort concentré. Il porte le monde, son monde, Atlas en voyage. Il le porte à plein bras, à plein corps et non sur le dos, il l'accepte totalement. Plénitude. Et puis en y regardant un peu plus prêt, ça glisse peut-être... Alors là c'est un acte " héroïque " on comprend les lèvres serrées et le sourire de la dame, victorieux. Les formes des maisons entrevues évoquent cette maison que l'enfant dessine, la maison des rêves, celle qui nous ressemble, la maison au toit rouge, à la cheminée fumante, à la fenêtre ouverte, au chemin ouvert devant la porte, je me demande comment est la maison de ce couple. Où vivent ils ? Où l'enfant attendu viendra au monde ? L'éclat miroitant de neiges durcies raconte une histoire... Toujours la même : ils s'aimèrent et eurent beaucoup d'enfants ! Mais, ça, c'est dans les contes pour enfants sages. Nous, nous ne sommes pas sages, nous ne lisons plus de contes. Pourtant, oui, ils s'aimèrent... sur un lit de fougères lorsque l'été darda ses chauds rayons, là-haut dans l'alpage bruissant d'insectes, dans le lit des ancêtres au coeur de la maison des grands parents, dans la montagne, cette montagne qui les immortalisent. Regarder et se plonger dans cette image n'est ce pas convoquer les morts sur la scène de la vie et les interpeller ? Leur donner vie à nouveau... Est-ce qu'on les dérange là où ils sont allés maintenant ? Dans ce lointain pays du songe ininterrompu, aux jardins de lumière et de fleurs, aux montagnes sans noms, aux fontaines limpides, là où chantent les rivières filantes, et où les étoilent inversent la perspective entrevue?

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  3. François16 juin, 2010

    Quinze dérives fictionnelles, au dos probable de la photo, qui vont s'épaississant. — Merci à Estibal pour sa suggestion.
    1. Paul et Jacqueline, au Villaret (23 Mars 57)

    2. Paul avec Jacqueline au Villaret, fin mars 57

    3. Jacqueline au Villaret, avec Paul (23/03/57)

    4. Avec Jacqueline. Le Villaret, 23 mars [au crayon « à papier »] : 1957 ?

    5. Paul et moi, le 23 mars 1957 (Merci Alice pour cette photo)

    6. Mon Paul (23 mars 1957)

    7. 23 mars 1957 (Merci Alice)

    8. Photo prise au Villaret, par Alice, sûrement. En 57 je crois. Je ne sais pas où étaient les petits. Annette chez maman sans doute. Pierrot avec nous, peut-être qu’il jouait aux petits chevaux avec mamie Ginette.

    9. Le Villaret.

    10. Pâques 1957 : mon frère avec Jacqueline. Maman était contente qu’ils soient venus. Elle s’occupait du petit pendant qu’on se promenait. On se doutait pas.

    11. Une des dernières photos du Villaret, Pâques 57, sans doute puisque Paul est encore là.

    12. Jacqueline et moi, derrière la maison des parents. La regarder souvent pour ne pas oublier. Dire qu’on a tellement chaud ici.

    13. Je n’ai que cette photo avec votre père. C’est tata Alice qui l’a prise quelques mois avant qu’il parte en Algérie. Pierrot avait deux ans. Annette était restée chez maman.

    14. [Au crayon « à papier » :] Pour Annette. [Puis, à l’encre noire :] J’ai retrouvé cette photo de ton papa avec ta pauvre maman. Un an après, il est parti pour l’Algérie. J’aime bien cette photo. Ce qu’ils s’aimaient ces deux-là !

    15. [Au crayon de couleur rouge — écriture appliquée :] C’est mon papi (le papa de ma maman) avec ma mamie. Je n’étais pas né. Il y avait une guerre. Même ma maman se souvient pas de lui. Heureusement, il y a tata Alice. Elle garde toutes les photos. Elle se souvient de tout. Même des gens qui sont morts. Il était très fort mon papi. C’est tata Alice qui le dit mais ça se voit.

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